Éditorial de Novembre 2018
Plus coté(e) à l'Argus !
Dans neuf cas sur dix, lorsque je pose à une personne âgée, dans une EHPAD, la question : « Comment ça va ? », j'ai droit à cette réponse : « ça va, comme pour un vieux », ou « comme pour une vieille ». Seul le sexe change, mais pas la nature. Le ton se veut plein d'un humour résigné. « Vieux » dans notre société avide de performance, cela signifie « usé – bon à mettre à la poubelle – à remplacer – voiture plus cotée à l'Argus ». En aucun cas cela ne signifie : riche d'une longue expérience.
Que pourraient-ils nous apprendre, d'ailleurs !? Que « de leur temps », on économisait sur tout : jeter un morceau de pain, c'était quasi un crime : le pain dur était récupéré sous forme de gâteau appelé « mendiant » (excellent, d'ailleurs...avec adduction de pommes, raisins de Corinthe...à l'occasion je donnerai la recette complète...)
Ma mère emballait dans du papier journal chaque bout de tissu supérieur en surface à la grandeur d'une main. Une armoire lorraine était dédiée à ces chutes. Une petite étiquette était collée dessus : manteau d'hiver brun et jaune Simone – Blouse orange flanelle Elise – etc. Il existait parallèlement une boîte de déchets de cuir, pour mon père.
Ce sens de l'économie est actuellement totalement occulté, voire méprisé. Une énorme pression est exercée par les médias et le pouvoir pour la consommation débridée.Tout le monde est emporté par la vague. Depuis longtemps personnellement je n'utilise plus mon « armoire lorraine » à un usage de récupération de ce genre. Ceux qui résistent sont moqués. C'est l'un des composants de l'énorme mépris sous-jacents qu'éprouve sans véritablement l'exprimer la société, par rapport à « nos vieux ».
Trop peu dépensiers, ils ne représentent qu'un intérêt mineur – sauf pour les pharmaciens, les opticiens et les vendeurs de prothèses. J'oublie les pompes funèbres et les contrats obsèques. Je n'irai pas jusqu'à dire que l'intérêt concerne aussi le corps médical. Il semblerait à présent que les médecins, en France, soient tellement surchargés qu'ils se raréfient à l'extrême. Autant ne pas en parler.
Par contre, le « vieux-décrépi », terme qui s'oppose à « l'enfant-roi », est lui, en augmentation. On sait que seules les choses rares sont vraiment précieuses. Et comme il devient de plus en plus...abondant, il devient de moins en moins coté !
Au siècle dernier, nos vieux pouvaient encore un peu aider pour les devoirs, pour la dictée, par exemple. Maintenant, comme l'orthographe n'a plus grande importance, ce seraient plutôt les jeunes qui leur apprendraient à écrire des SMS ! Mais là encore ce serait peine perdue : leurs doigts crochus ne pouvant plus appuyer correctement sur les touches minuscules des portables, et leurs oreilles défaillantes s'adapter au volume sonore.
Et puis : leur conception pour l'éducation des enfants n'est plus au goût du jour : Même s'ils ne l'expriment pas avec des mots, les profusions de cadeaux distribués à chaque occasion, qui fait que chaque enfant dispose d'une bonne dizaine de cadeaux, au moins six fois par an, (c'est un euphémisme), ces profusions sont en secret réprouvées, comme étant une surenchère de plus contrecarrant la part de rêve nécessaire pour savoir apprécier la valeur des choses. C'est un gavage. Ils ne le diront jamais, et pourtant tout le monde sait qu'ils le pensent. C'est pourquoi « tout le monde » est agacé.
Le petit ton condescendant que l'on utilise souvent en leur parlant, en soi, est détestable. Cela veut tellement dire : tu deviens gaga, mais tout le monde te pardonne.
Souvent j'ai l'occasion, par ailleurs, dans des revues, sur des panneaux d'affichage routiers, aussi, d'observer des publicités pour des assurances obsèques, ou autres soi-disant bons placements ou précautions à prendre pour sa santé: il y a une femme d'âge mûre, BCBG, dans les bras d'un homme d'âge équivalent, également BCBG, tous deux genre Bobo, coiffure impeccable, la dame en blond (à cause des cheveux gris), et le monsieur très grisonnant et à moitié chauve, certes, mais porteur d'une coupe moderne (très court), en bras de chemise, qui se laisse avec ravissement étreindre d'un petit geste familier et taquin par sa compagne complice, tous deux, portés au septième ciel du bonheur.
« Bof bof, j'ai envie de dire, ça sent beaucoup beaucoup le préfabriqué ».
Les vieux couples , qui en ont bavé ensemble , sont moins m'as-tu-vu que ceux présentés sur cette persistante image stéréotypée et un brin hypocrite du bonheur à deux.
Le premier et l'essentiel bonheur, à partir d'un certain âge, et d'un certain degré d'expérience des tuiles que vous réserve la vie, c'est simplement d'être ensemble, à deux, avec ou sans cheveux fraichement coupés, et même avec cheveux éméchés, et même sans la santé, quand on n'a plus le choix !
« Le reste est de l'hébreux », aurait dit Aragon.
A propos d'obsèques, d'ailleurs (N'oublions pas la fête des morts, demain!), à propos donc, avez-vous remarqué que les obsèques se réalisent de plus en plus juste à partir d'une poignée de cendres, placés dans des urnes ? Avouez que c'est tout de même plus pratique – physiquement parlant – et de plus très économique, ce qui n'est nullement négligeable. Surtout qu'il convient également de ne pas oublier Hallowen, avec quelques frais supplémentaires : lampions, toiles d'araignées, citrouille, chapeau de sorcière.
Agréables frissons – peurs exquises...
Peut-être, l'un de ces jours prochains, nos braves vieux auront-ils à l'EHPAD, la visite d'un régiment de sorcières chevauchant leur balai !? Alors, un bref instant, ils oublieront qu'ils sont « si vieux », : Merci pour eux, belles sorcières !
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