Editorial de Juillet 2015
Mort Programmée
Un problème aux lourdes et graves conséquences se pose, dans le cas particulier d'un homme, Vincent Lambert, mais selon la solution qui va lui être apportée, cela va forcément faire jurisprudence. Et forcément influer sur notre mort programmée éventuelle.
Je précise que je ne suis ni croyante ni pratiquante, d'une quelconque religion, et que mon sentiment à propos de ce très grave sujet n'est nullement influencé par une culture, ou une habitude de pensée. Certes, et forcément, il est, comme pour tout le monde, influencé par mon vécu !
Actuellement, des gens glosent, jugent d'un cas – de loin – pour un soi disant sacro-saint principe, et le plus souvent sans du tout être restés de longues heures, assis aux côtés du malade, donc ne connaissant son cas propre que par extrapolation – ou avec la distance du corps médical (je ne parle pas de l'épouse...), ces gens font des lois, ils incitent, et font pression, pour que tout un chacun songe à ses derniers instants, et, dans cette optique, à placer un billet dans son porte-feuille, avec, écrit dessus...ses dernières volontés – et la teneur de ces dernières semble si évidente qu'on ne juge nullement utile de préciser : dites si vous souhaitez que votre vie soit dans ce cas abrégé, OU qu'au contraire, vous soyez maintenu en vie par des moyens techniques « artificiels ».
L'idée de placer dans son porte-feuille un billet, avec, mentionné dessus : »Je souhaite être maintenu en vie dans toute la mesure des possibles » paraît si choquante qu'on n'en parle même pas !! Cette alternative est court-circuitée...
Or moi, elle ne me choque nullement. Ce qui me choque, c'est que des gens qui n'ont jamais eu à soigner un grand malade, à domicile, pendant 20 ans – se sentent autorisés à juger à la place de ceux qui sont en 1è ligne, au front ! J'englobe dans ces personnes également les médecins, car le médecin n'est nullement « au front » ! Bien abrité dans son PC, il gère, ordonne. La personne qui est au front, c'est l'infirmière, et celle encore davantage au front, c'est l'épouse, ou la mère (voire la fille, ou l'époux), lesquels, à domicile, gèrent un cas très lourd, et on semble oublier que de nombreux cas se gèrent ainsi à domicile, dans l'ombre de modestes demeures.
Je vais essayer d'éviter de vous accabler du détail des problèmes personnels que nous avons vécu, mon époux et moi, pendant 20 ans, à propos d'une maladie rare, laquelle, dans les dernières 10 années de la vie de mon mari, a nécessité une alimentation par pompe nutritive branchée sur une stomie, au niveau de l'estomac. Mon mari, atteint d'une maladie, dite orpheline, la paralysie supra-nucléaire progressive ( qui s'installa lentement, en même temps d'ailleurs qu'une cécité totale), mon mari, au début, parlait encore, mangeait un peu, et se laissait guider, devenu, aveugle (là aussi petit à petit) puis, nous eûmes le choix entre : le laisser mourir de faim (déglutition impossible), ou le nourrir artificiellement. Pour moi, le choix ne s'est jamais posé!!Quand on connaît l'être qui vous est cher, que l'on étudie les moindres de ses réactions, aussi discrètes soient-elles, on SAIT ce qu'il souhaite !! Et ce qu'un être humain souhaite, c'est d'abord, d'être aimé par celle, celui ou ceux qu'il aime. Et ensuite, c'est aussi de souffrir le moins possible ! Or tout cela peut être rendu possible. Les antidouleurs sont au point... Par contre, l'amour, lui, ne se commande ni ne s'achète. Ce qui manque le plus à nos braves vieux (je ne place nulle intention péjorative dans cette appellation – c'est vrai, « vieux », à l'heure présente, cela veut surtout vouloir dire : incapable, inutile, usé, alors que dans MON esprit, le brave vieux, c'est celui qui a beaucoup vécu, et sait plein de choses que tant de gens négligeront de lui demander!)...ce qui manque le plus à « nos chers anciens », pour parler « plus moderne », c'est l'AMOUR. Ce dont ils souffrent le plus : la solitude, le guetto des maisons de retraite.
On pourra me rétorquer : Et ce fameux Vincent Humbert (et non Lambert), au cas tout aussi douloureux, et qui écrivit avec son pouce (seule pièce mobile de son corps...) dans la main de son médecin, et dans la main du journaliste qui l'aida à écrire ce fameux livre « le droit de mourir », ou similaire, qui écrivit une lettre à Chirac, (à l'époque Président de la République), lui, il désirait mourir, pourtant.... A eux, je répondrais : il désira mourir, oui...Mais sauriez-vous répondre à ceci : si sa bien-aimée avait choisi de rester à son chevet au lieu de partir (car elle avait craqué) – savez-vous si ce désir, exprimé APRES, ce serait également exprimé, dans ce cas de figure-là !?
De toutes façons, qu'un être jeune, tel Vincent HUMBERT, à l'époque, fauché, dans toute sa vigueur, puisse désirer mourir, avec, à ses côtés – ou non – un être aimé et qui le chérirait – je le conçois – le désir de mort peut être très fort chez un jeune, qui se sens diminué – et dans ce cas, je l'admets. Et si j'avais été la maman de Vincent Humbert, j'aurais fait comme elle, j'aurais tout fait pour que ce vœu se réalise, quitte à être emprisonnée.
Mais les cas sont généralement très différents de celui-là : on s'attache à la vie de plus en plus, au fur et à mesure de son vécu. Ce qu'on souhaite alors le plus, c'est une main amie. Qui permette qu'on traverse ensemble toutes les épreuves. Je disais toujours à mon mari : « tu vois, tant qu'on est à deux, il ne faut jamais se plaindre ». Il ne pouvait plus me répondre, mais je sentais une petite joie, un petit apaisement, parcourir ses membres aux muscles tendus et crispés. (Car la paralysie, elle ne détend pas, elle crispe, elle fait mal...)
Nous avons ainsi vécu ensemble « une vraie guerre du Vietnam ». J'en raconte toutes les péripéties dans un livre au titre qui dit ce qu'il veut dire: »Non Docteur, je ne me résigne pas ! » Je déteste parler de cela devant des gens qui prennent un air apitoyé, en-même temps que cela suggère : »heureusement, à présent, il est ...mort ! »...(il est décédé à l'âge de 87 ans, à la maison, toujours, dans mes bras) . J'ai envie de crier à ces gens-là : Non, pas HEUREUSEMENT ! Je savais que la mort vaincrait ma patience, ma vigilance, mais j'en avais fait une affaire de vie ou de mort ! J'ai tenu le coup 20 ans, et...un moment d'inattention, un médicament s'étant ajouté à un autre, une soirée pas faite comme les autres, et voilà.
Mais si je me réfère à la tendance actuelle, cela voudrait dire que non seulement je me suis battue pour une vie à sauver pendant 20 ans, mais, que si cela se trouve, ce n'était pas de l'amour, mais de l'égoïsme, et de la cruauté. Que mon mari, dans le secret de son pauvre cœur, désirait mourir, mais que moi, je lui tenais, volontairement, la tête hors de l'eau !
Je trouve totalement inadmissible que l'on décide, pour un être qui ne peut plus se prononcer, de sa vie ou de sa mort à sa place ! En cas de doute, on doit lui laisser le bénéfice de la vie , et entretenir cette vie aussi correctement que possible. Personnellement, je n'ai jamais une seule seconde douté que mon mari souhaitait vivre, vivre avec moi, qui lui tenais la main, et lui balançais les bras au rythme de la musique des CD qu'il avait aimé : « le plus beau – de tous les tangos du monde – c'est celui – que j'ai dansé dans tes bras... »
Certes, a priori, on peut penser qu'un mot, remis à une personne de confiance, ou déposé dans son porte-feuille, peut régler bien des choses. Et que, dans ce sens, il est pertinent de le faire.
Mon vécu m'incite à penser que non, au contraire, il convient de s'en méfier absolument.
Certains peuvent y être incités, et céder à la pression sociale, ce faisant, sans véritable conviction personnelle. « Pour faire plaisir », « pour en finir avec ça ». Au jour J, heure H, ils resteront prisonniers d'un billet qui traduit plus la pensée des autres que la leur propre.
Mais il y a aussi ce à quoi on pense beaucoup moins : ce billet, écrit 10 ou 20 ans avant sa mort, est-il encore la vraie traduction d'un sentiment qu'à présent nous allons supposer comme tout à fait sincère, 10 ou 20 ans auparavant. On ne pense pas assez que nos cellules, nos opinions, nos désirs, notre aspect, TOUT change, en nous, sur 10 ou 20 ans! J'ai assisté personnellement au cas très grave suivant : quelqu'un, atteint de la maladie de Charcot, en pleine force de l'âge (50 ans), affirma, à qui voulait l'entendre, énergiquement, haut et fort, que, dans le cas où les muscles de la respiration deviendraient, eux aussi défaillants, il ne souhaitait pas être placé sous respirateur, mais, au contraire, souhaitait qu'on le laisse mourir. Deux ans plus tard, il changea totalement d'avis. Mais il ne pouvait plus le dire...Alors comment l'a-t-on su !? Car, étant un scientifique, il avait des collègues amis qui lui avaient placé sur son ordinateur un système de traduction en morse, et il exprimait ses idées, toujours très claires, en tapotant, du seul doigt qui pouvait encore bouger (l'index), sur un clavier d'ordi modifié pour la circonstance.
Si donc vous ne disposez pas de ce système en morse, ou ne pouvez plus ni bouger les lèvres, ni aucun doigt, ou avez partiellement perdu la tête, et souhaitez avoir le droit de changer d'avis pour une chose aussi grave que celle de votre maintien en vie – ou non – et que vous avez pris « la précaution » (entre guillemets...car s'agit-il bien d'une précaution!?), que vous l'avez prise, cette précaution du petit billet, croyant bien faire, dix ans auparavant, ou même, simplement, quelques années avant, sachez que vous vous êtes condamné à mourir, quand bien même, et c'est pourtant le droit absolu de chacun, vous souhaiteriez bénéficier, plutôt, de « votre droit à vivre ! »...(seuls les imbéciles ne changeant jamais d'avis!)
Personnellement, et je le clame, je rédigerai ainsi mon billet : »je veux bénéficier de mon droit à vivre » !
Autre chose, qu'il convient de ne pas laisser dans l'ombre : on vous suggère une mort sereine. Un cocktail antidouleur ET ou suivi – d'une sédation profonde. Arrêt de toute alimentation et hydratation, bien évidemment. On laisse mourir, on ne fait pas mourir...Nuance ? J'en vois peu...
Mais, quelle que soit l'option, personne n'est jamais revenu de là pour expliquer si c'était vraiment vrai que l'on n'avait pas mal, et qu'on s'endormait d'un sommeil serein. Pour ce qui est de l'antidouleur: placée sous morphine, suite à une ablation d'un morceau d'intestin, je peux affirmer que cela me fut totalement pénible. Je paraissais, aux yeux des autres, ne pas souffrir, et d'un point de vue « classique », il ne s'agissait pas d'une souffrance, telle qu'on l'entend, mais plutôt d'une profonde perturbation de ma conscience, qui me donnait d'horribles nausées. Je préférais la souffrance « classique », on me débrancha de la pompe à morphine, et je gérais beaucoup mieux.
Question « sédation profonde » : mon frère, placé en soins palliatifs à la maison, souffrit, en silence, mais visiblement, pendant 5 jours, avant de mourir. De grosses gouttes de sueur froide étaient épongées par son épouse, terriblement choquée (elle me le raconta). Il ne pouvait juste pas le dire, qu'il était extrêmement perturbé ! Moi-même j'eus l'occasion d'observer un proche, à l'agonie « assistée », souffrant dans le silence, pendant de longues heures, apparemment immobile et endormi, avec des ulcères de sécheresse sur les lèvres et dans la bouche, sécheresse volontairement produite par des patchs de scopolamine, laquelle évite la salivation, et les râles produits par la salive, pendant l'agonie. Cela veut-il dire qu'on ne souffre pas !? J'en doute fort...
J'avais d'ailleurs eu l'occasion d'observer les dégâts de la scopolamine sur mon époux, médicament que le médecin de l'époque avait cru bon, à titre d'essai, de placer sur l'ordonnance. Selon les moments, en effet, mon mari pouvait saliver énormément (réflexe du corps malade, probablement), et il risquait de mourir noyé dans sa salive, puisqu'il ne pouvait ni l'avaler, ni la rejeter hors de sa bouche. J'observais alors les dégâts : vomissements de bile, teint totalement jaune. Perturbation profonde le rendant complètement flasque. Je stoppais la scopolamine au bout du 2è jour, et je reste persuadée que si je ne l'avais pas stoppée, mon mari serait mort dans les jours qui auraient suivi.
Tout cela n'est pas très gai. Mais mon but n'a jamais été de vous écrire ici une « histoire gaie » !
J'ai l'air de juger sévèrement certaines personnes. Très sincèrement dit : j'aurais pensé comme elles, à trente ans !: « Ils souffrent, ils sont là, tout bossus, tout tremblotants ! Ce serait mieux pour eux qu'ils ne soient plus là. » Je l'aurais pensé. Car je n'avais pas encore expérimenté à quel point nous pouvons, si nous le souhaitons vraiment, par de gentils gestes, des attentions sans faille, le témoignage de notre amour, des paroles encourageantes , de la bonne humeur, de la disponibilité, de simples petits baisers, sur des joues creuses ou ridées, de l'optimisme, par rapport à leur situation qu'ils vivent mal - simplement, même, par des chansons, fredonnées souvent, en leur présence, leur redonner ce qui leur manque tellement, le goût de vivre ! C'est quand même mieux que de les condamner à mort !
Et surtout ne jamais croire qu'une personne qui ne vous voit plus et entend mal ne vous entend pas chantonner, ne perçoit pas votre présence, et n'entend pas si vous dites, distraitement, à quelqu'un d'autre : "Ce serait mieux qu'elle soit morte ». (Meilleur moyen pour qu'elle finisse par le souhaiter !)
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