Editorial de Mars 2015
Ma petite perruche
J'aimais les oiseaux libres, et les personnes libres.
Oh, sur la liberté, ces derniers temps, les médias n'arrêtent pas de dégoiser ! Nous sommes, paraît-il, un pays LIBRE ! Libres de nous faire cambrioler, de nous faire insulter, de payer nos impôts rubis sur l'ongle. Du moins pour ceux qui n'ont pas de (bonnes) relations en Suisse ou un peu plus loin – ou un peu plus près...Libres d'intenter des procès à ceux qui voudraient essayer de nous violer (ou qui l'ont réussi!). Mais là, petite parenthèse : Choisissez bien votre violeur, de préférence dans des cercles de personnes du genre « français-moyen » et surtout pas dans celui des gentleman (heuhhh...) évoluant dans les palaces. Ce serait plus prudent !
A part cela, nous sommes un peuple...libre...et citoyen du monde, de surcroît. Le symbole de la liberté ? L'oiseau...qui s'affranchit de la pesanteur, apparemment sans efforts. Un jour, je m'étais acheté une petite perruche. Moi qui n'avais jamais été inspirée spécialement par les volatiles, je ne sais quelle obscure attirance m'incita, un beau jour, à cet achat ...inconsidéré. Oui, totalement inconsidéré, car, très vite, je me rendis compte que je n'étais pas heureuse de voir ma perruche en cage ! Il fallait à tous prix que je l'affranchisse – lui permette d'en faire un peu plus « à sa tête », lui donne de l'espace vital – en essayant aussi de préserver sa sécurité : fenêtre ouverte...adieu l'oiseau...il convenait que j'évite cela, également, car l'animal, domestiqué, ne ferait pas long feu dehors, surtout en saison froide !
Et j'y parvins ! Je réussis cet exploit : ma perruche, tous les matins, sortait par la fenêtre, et rentrait « à la maison » le soir ! Oh, cela avait pris...des mois ! Tout d'abord, elle avait relevé de modestes repères à l'extérieur de sa cage : dans la cuisine, le bureau...pas dans la chambre à coucher, je fermais la porte, car l'oiseau semait d'innombrables petite crottes sur son passage. Pour dormir, elle avait choisi un curieux perchoir : il s'agissait d'une paroi vitrée, verticale, et ouverte dans la partie supérieure. Elle se perchait sur cette arête, et, dans cette position, son image se reflétait, toute proche, sur une colonne faite de petits miroirs, lesquels lui donnaient l'illusion de la présence de multiples congénères ! Ma perruche était trop seule. Elle avait besoin de compagnie. Elle souffrait. Je ne pouvais me résigner à une deuxième perruche. Les innombrables petites crottes semées aux alentours par mon unique pensionnaire me mobilisaient à longueur de journée dans tous les coins de la maison...Une surveillance doublée était inenvisageable. D'ailleurs : dès que de la visite (d'humains) se pointait chez moi, je passais pour vaguement folle et sans égards de laisser ainsi voleter l'oiseau qui frôlait de son aile effrontée les cheveux des invités. Laissant tomber négligemment sur leur épaule quelques traces salissantes d'une digestion bien accomplie.
J'avais constaté que la paroi de verre était un peu glissante. J'avais recouvert l'arête d'un chiffon, afin que les petites pattes puissent mieux s'y cramponner, sans souffrir non plus du froid la nuit venue. Au printemps, je m'enhardis : la cage, porte ouverte, fut placée dehors, d'abord pour une durée courte, puis de plus en plus longue. Elle se trouvait sur le rebord de la fenêtre, à l'extérieur, et la perruche, depuis la cage- sa sécurité - s'enhardissait, pour chaque fois, prospecter un peu plus avant. Le toit de sa cage lui servait de repère, au loin. Peu à peu, elle prit l'habitude de sortir ainsi le matin, et de rentrer, le soir, simplement par la fenêtre ouverte. L'hiver suivant, elle le passa « à la maison ». Elle serait morte de froid, autrement. Et, au printemps suivant, je rouvris la fenêtre, un beau matin ensoleillé ! Le soir, ma bonne perruche rentra au bercail. Quelle joie...
Le lendemain, elle ne rentra plus. Elle ne revint plus jamais. Probablement morte, tuée par une buse, ou un chasseur. Ou, se trompant de maison, peut-être enfermée, pour toujours, dans d'autres lieu.
Je ne m'en consolais jamais vraiment.
Vous pensez que ceux (et celles) qui adorent la liberté des perruches aiment voir les humains aliénés, entravés ? Sous le joug ? Non libres ? Mais choisir « la liberté », c'est aussi, comme je l'avais choisis pour ma perruche, choisir en-même temps le risque – et le risque de mort – c'est ce que font tous les aventuriers – peut-être ce que j'aurais fait – si l'occasion s'en était présentée – moi aussi.
Et si j'ai mis « liberté » entre guillemets, c'est parce que le mot est vite prononcé, très imagé. Rassembleur. Et pourtant...si piégeant ! Si illusoire ! Sommes-nous seulement libres, en société, d'exprimer à haute voix notre pensée profonde ? Et si, par chance, cette liberté nous est laissée de l'extérieur, ne subissons-nous pas, néanmoins, d'autres entraves ? Celles de l'intérieur ? Du conditionnement de certains maîtres à penser ? Conditionnés pour l'appréciation du « bien » et « du mal » ? Du « bon » et du « mauvais » ? Conditionnés par les circonstances pour être heureux avec un morceau de pain, ou malheureux, les mains pleines !?
Sommes-nous tellement plus que cette petite perruche, contente de s'ébrouer, au soleil, « libre », et destinés à « passer de l'autre côté du chemin » au jour J, et à l'heure qu'il plaira au destin de déterminer pour nous ?
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