Éditorial d'Avril 2018
Un vrai gentleman
L'autre jour, Nicolas, le dresseur de Nadal, tout en déambulant dans les sentiers mouillés, m'avait confié :
« vous savez, avec les chiens, on se fait des illusions : quand ils perdent leur maître, ils ne sont pas du tout inconsolables, ils aiment ceux qui les nourrissent, et aucun chien n'est jamais mort d'amour. »
A quelque part, cela me paraissait plutôt pertinent...les humains non plus, pour la plupart d'entre eux, ne mouraient pas d'amour. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'ils s'occupaient à lécher systématiquement la main qui les nourrissait, mais il fallait bien admettre que chiens autant qu'humains étaient conçus par dame nature pour ne pas être éternellement inconsolables. Quelle vie aurait valu la peine d'être vécue avec pour toute occupation mentale celle de pleurer l'être aimé ? Toute blessure avait bien le droit de se refermer, et d'arrêter de saigner, afin de permettre au vivant de retrouver un peu de cette sérénité qui si souvent lui fait défaut.
Néanmoins, quelque chose dans cette affirmation me heurtait. Je communiquai à Nicolas ma désapprobation. Je ne savais trop comment l'exprimer : « pas vraiment d'accord avec vous, Nicolas, pas vraiment. » Finalement je parvins à traduire mon sentiment : il réduisait la bête à un ventre qui avait besoin de se remplir, et peu importe la main qui accomplissait cette tâche. « Liebe geht durch den Magen » disait un vieux proverbe allemand : « L'amour passe par l'estomac ». Au mieux, les caresses de l'un remplaçaient sans difficultés aucune les bisous de l'autre, pour le cas où le bas matérialisme alimentaire devrait paraître trop restrictif.
Mais le jeune enfant n'est-il pas, lui aussi, ouvert à toutes les caresses ? N'est-ce pas une loi de la nature de faciliter ainsi les échanges ? Un toutou n'a-t-il pas l'âme d'un enfant ? Et n'est-ce pas un peu pour ça que nous adorons les chiens autant, souvent, que les enfants ? Qu'est-ce qui peut davantage nous réchauffer le cœur que le regard confiant d'un enfant ou d'un chien !? Et bien vil est celui capable de trahir cette confiance ingénue.
Nous avions cheminé sur les chemins détrempés, Nadal, Nicolas et moi. Cela avait été un intermède entre deux leçons données à la maîtresse encore plus qu'à Nadal. Il fallait que j'apprenne à ne jamais négocier avec ma bête. C'était dur. Cruel, dans un sens. Aussi, dès la leçon terminée, au lieu de la répéter, en boucle, seule avec ma bête, je m'empressais de rêver à ses défauts et ses qualités : j'affectionnais de l'appeler « Arsène », car c'était véritablement le gentleman cambrioleur : élégant, racé, l'air de rien, il subtilisait absolument toutes choses lui paraissant représenter une certaine valeur. Telle que : lavette de vaisselle dans l'évier - saucisse déposée distraitement dans son emballage sur la table de cuisine – chaussette dans le panier à linge – essuie-mains – clés de voiture – clé de la boîte à lettre – clés de la maison, ces derniers objets abandonnés très vite sur le sol, en raison du côté désagréable de leur contact dur et froid dans la bouche. Mes foulards et bonnets par contre représentaient une cible privilégiée. J'avais renoncé à les accrocher aux patères sous l'escalier, car Na dal, qui grandissait comme Alice au Pays des Merveilles, y avait accès facile en se plaçant sur les pattes arrières. Une petite secousse, et le bonnet était arraché de la patère, dans l'état que l'on imagine. Naturellement derrière mon dos. Lorsqu'ensuite mon regard se posait sur Arsène avant qu'il n'ait eu l'occasion de s'enfuir au jardin avec son butin, alors, Arsène, superbe stratège, accourait vers moi, bonnet dans la gueule, et le déposait à mes pieds. L'air de dire : »Tu croyais que je l'avais volé !? Ah ben non, pas du tout, je l'avais juste pris pour te l'apporter ! »
(Un vrai gentleman ! )
Défaut ou qualité !? Hmhm
Le gentleman m'offre aussi sa cueillette de petits choux : faute de me fatiguer à planter des bulbes qu'il m'aurait fallu de surcroit arroser, je m'étais laisser tenter par des petits « choux », genre de rosettes rampantes meublant les rocailles, à défaut de choses plus élaborées. Régulièrement les transportant dans sa gueule, il les rapporte au garage, et les y dépose en rangs serrés, en-même temps que d'autres objets hétéroclites, tels que pots en étain, pull-over subtilisé dans le panier à linge, lave-pont traîné depuis la buanderie – mousse verte récoltée sur le vieux mur à l'ombre – ballon crevé par Yack, son prédécesseur bien-aimé – et rapporté en petits bouts, mélangé à de la neige de polystyrène d'un joli blanc lumineux, extraite de gros cartons éventrés placés à une hauteur que j'avais jugé – à tort – suffisante.
Gai tableau, variable autant que celui d'un kaléidoscope, selon les objets encore disponibles, et les impulsions d'Arsène. Selon les jours et mon emploi du temps, je me mets de suite à l'ouvrage, en grommelant affreusement, pendant que Nadal, blotti contre la porte, s'est rendu presque invisible, noir sur bleu-foncé, quasi enroulé dans le tapis de sol. Ou alors je coince le lascar dans sa cage, et l'embarque dans la voiture, pour l'attacher ensuite au pied d'une table assez lourde, dans une Ehpad où d'avance on s'attend à avoir sa visite, Là, dans l'impossibilité d'aller fouiller dans le sac à main de ces dames, il fait son gentil, ravi de tous les compliments qui lui sont distribués à profusion.
Egocentrique, vous croyez !?
Commentaires
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- 1. Carole Le 02/04/2018
Les animaux nous aiment d'un amour authentique. Ils sont sincères et ne nous trahissent pas contrairement à l'espece humaine. Connaissez vous l'histoire, d'HATCHI, ce magnifique akita qui attendit son maître jusqu'à la fin de sa vie devant la gare ou son maître prenait le train tous les jours pour aller à son travail il était enseignant et un beau jour mourut en plein cour d'un arrêt cardiaque. Hatchi l'ignorait mais attendit encore et encore et encore ...il passa sa vie à attendre le retour de son maître adoré....et mourut de vieillesse et d'amout pour son maitre. Une statue a même était érigée en son honneur.
Ce n'est pas qu'un ventre sur pattes...c'est un coeur remplit d'amour.
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