ERLKÖNIG - Le roi des Aulnes
Ce poème de Goethe m'avait d'autant plus impressionnée qu'enfant, j'avais été amenée à le déclamer un certain nombre de fois, incitée en ceci par mon institutrice de l'époque. J'étais cachée derrière le tableau noir, et je devais prononcer, sur le ton qui convient :
Ich liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt – und bist du nicht willig, so brauch ich Gewalt. Mon institutrice entrait en transe, chaque fois - ce qui, en secret, me flattait assez.
Je sussurais donc, d'instinct, un peu comme l'aurait fait un être mythique, transparent, malfaisant, dans l'ombre des saules, sur la lande, au clair de lune. La maîtresse n'avait nul besoin d'expliquer. Les mots parlaient pour eux : « Mich reizt deine schöne Gestalt ». Il s'agissait d'un désir charnel, et la menace était claire !
La publication sur le site d'une personne amie, André Lhommé, de ce célèbre poème – en allemand – précisément – m'avait fait revivre tout cela. J'avais alors cherché à traduire, et m'étais dès lors intéressée aux traductions autres que la mienne. Ce qui fut l'occasion, pour moi, de saisir, une fois de plus, à quel point les traductions de poèmes sont délicates et difficiles : le traducteur va forcément être amené à exprimer des priorités en fonction de choix intimes liés à sa personne propre - son vécu: donner priorité à ce qu'a exactement voulu dire l'auteur, mais ce qu'on veut dire ne s'exprime pas seulement avec des mots, mais avec l'arrangement des mots, le style, l'ambiance qu'on sait donner...ainsi l'un de mes prof à la fac disait : la forme, C'EST le fond – cela nous laissait perplexes, et pourtant...comme c'est vrai ! Dans un poème, la forme compte, plus que chaque mot, pris à part...la forme, c'est aussi la musicalité, l'arrangement des rimes. Si dans une partition musicale, il y a une fausse note, cela va déranger. Et combien de traduction de poèmes m'ont précisément dérangée par leurs fausses notes ! : Plus aucun respect du nombre de pied – de la rime -
Certes, et je les comprends, les traducteurs s'attachent souvent au mot à mot, sécurité dans leur esprit pour rester fidèle à l'auteur.
Ainsi :
« Er fasst ihn sicher, er hält ihn warm »(ne serait-ce pas plutôt : « Er hält IHM warm!?) donne chez un certain traducteur :
« Il le tient fermement, il le garde au chaud » (ce n'est pourtant pas un plat qu'on garde au chaud » !!.
Par un autre traducteur :
« Il le tient ferme, il le réchauffe » déjà mieux...
Par un autre encore :
« Il le serre bien, il lui tient chaud »
Or, considérons cette strophe dans son ensemble :
Goethe écrit :
Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ?
Es ist der Vater mit seinem Kind
Er hat den Knaben wohl in dem Arm
Er fast ihn sicher er hält ihm(?) » warm
Et comparons avec :
Jacques Porcha (1861) :
Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ?
C'est le père avec son enfant
Il porte l'enfant dans ses bras
Il le tient ferme, il le réchauffe
Et comparons aussi avec Charles Nodier :
Quel est ce chevalier qui file si tard dans la nuit et le vent ?
C'est le père avec son enfant
Il serre le petit garçon dans son bras
Il le serre bien, il lui tient chaud
Ce que j'en pense :
Déjà : perte totale de la musicalité : sauf pour les 2 premiers vers, plus de rimes, plus d'harmonie des temps...
Chez Charles Nodier : « Il serre le petit garçon dans son bras » : en français, serrer quelqu'un dans son bras est une expression inusité...même s'il ne s'agit que d'UN bras qui serre, le sens est d'étreindre » », et on n'a pas l'habitude d'éteindre « dans son bras » (sauf peut-être en judo!?).
Le mot « wohl », qui signifie : confortablement, dans un sens de douceur, est difficile à traduire en français...Nodier essaye de le traduire en écrivant « petit garçon » au lieu de « garçon ». Jacques Porcha n'essaye pas de traduire le mot, et, en fait, il n'a pas vraiment besoin d'être traduit, on comprend...
Charles Nodier utilise les termes : « Quel est le chevalier qui file... », j'estime que c'est à tort -
A-t-il voulu dire « cavalier » !? Dans tous les cas, la phrase me semble bien mieux traduite par J.Porchat : »Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent » ?
Et voici à présent MON ESSAI personnel de traduction – Je sais que certains cheveux vont se hérisser – car j'ai pris quelques libertés – toutefois j'assume : à mon sens, je respecte tout à fait l'esprit de Goethe, en-même temps (et cela est certain..) que je rétablis la musicalité rythmée du poème :
« Qui chevauche si tard dans la nuit et le vent ?
C'est le père avec son enfant
Dans une étreinte ferme pleine de douceur
Il tient l'enfant bien au chaud sur son coeur »
Dans le tableau suivant, je reproduis celui qui sur Wikipédia nous renseigne sur l'original, et les 2 traductions dont je viens de parler :
Texte original et adaptations en français
Texte original |
Adaptation par |
Adaptation par |
Wer reitet so spät durch Nacht und Wind? |
Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ? |
Quel est ce chevalier qui file si tard dans la nuit et le vent ? |
Je vous soumets à présent ceci, extrait de :
https://www.musicologie.org/theses/erlkonig.html
Erlkönig
Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ? Mein Sohn, was birgst du so bang dein Gesicht ? - »Du liebes Kind, komm, geh mit mir! Mein Vater, mein Vater, und hörest du nicht, »Willst, feiner Knabe, du mit mir gehn? Mein Vater, mein Vater, und siehst du nicht dort »Ich liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt; Dem Vater grauset's, er reitet geschwind, |
Le Roi des Aulnes
Qui chevauche si tard dans la nuit dans le vent ? Mon fils, pourquoi caches-tu ton visage d'effroi ? Toi cher enfant, viens, pars avec moi ! Mon père, mon père, n'entends-tu pas Veux-tu, gentil garçon, venir avec moi ? Mon père, mon père, ne vois-tu pas là-bas Je t'aime, ton joli visage me touche, Le père frissonne d'horreur, il chevauche promptement, |
Mon avis : Toute question de rimes, de rythme et de musicalité mises à part, ce qui ne va pas, à mon sens :
« le vent murmure dans les feuilles mortes », ne traduit pas bien : « In dürren Blättern säuselt der Wind ».Le verbe « säuseln » donne une idée de mouvement rapide accompagnant un bruit, et est mal traduit par « murmurer » : un vent qui « murmure », c'est un vent doux et gentillet...ce n'est pas le cas ici.
« Feiner Knabe » est mal traduit par « gentil garçon ». Or je n'ai trouvé par ailleurs aucune autre traduction de « feiner Knabe ». J'avoue que je n'ai pas de mot à proposer, cela m'agace, mais je SAIS que « feiner Knabe » ne trouve pas ici sa bonne expression. Il s'agit de parvenir à traduire une élégance...une élégance dans TOUS les sens du mot, une finesse de pensée...En allemand, « du bist fein » se traduirait par « tu es chic », dans le sens »fair play »... Pour mieux cerner encore, cela signifierait : tu es chic et élégant, dans tous les sens du mot ! ».Alors, bon, j'admets que je ne résouds pas le problème...ne trouvant pas le terme unique qui conviendrait en français...
Personnellement, j'ai choisi de traduire « feiner Knabe », dans ce contexte, plutôt par « joli garçon » que par « gentil garçon »...
D'autres choses me déplaisent :
Traduire « Ich liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt » par « Je t'aime, ton joli visage me touche », n'exprime pas du tout le désir sexuel sous-jacent de l'expression. Déjà « visage » ne correspond pas à Gestalt, il se traduit par « Gesicht ». On dirait que les traducteurs (c'est assez général ) ...ont peur de ce que l'expression signifie vraiment – et cette signification est d'ailleurs totalement confirmée par la suite du poème : »et si tu ne veux pas, j'utiliserai la force »
Voici la traduction personnelle complète que je propose, et qui va se faire dresser etc...Mais, je le répète : je l'assume, dans l'esprit d'un compromis à mon sens le meilleur possible avec ce qu'à voulu faire sentir l'auteur... Je suis disposée à recevoir l'avis des uns – des unes – et l'inverse > traduire : des unes et des uns ! (priorité délicate en ces temps tourmentés héhé!)
ERLKönig
Ma traduction
Qui chevauche si tard dans la nuit et le vent
C'est le père avec son enfant
Dans une étreinte ferme pleine de douceur
Il tient l'enfant bien au chaud sur son coeur
Mon fils, pourquoi cacher ce visage angoissé ?
Père, ne vois-tu pas le roi des Aulnes passer ?
Le roi des Aulnes, avec traîne et couronnes ?
Mon fils, c'est n'est que le brouillard d'automne
Toi cher enfant, viens, pars avec moi
Je jouerai à de bien jolis jeux avec toi
Sur la rive il y a tant de fleurs colorées
Et ma mère possède tant de robes dorées
Mon père, mon père, n'entends-tu pas
Ce que le roi des Aulnes promets tout bas ?
Calme-toi, reste serein, mon enfant
Sous les feuilles mortes souffle le vent
Veux-tu joli garçon venir avec moi
Mes filles s'apprêtent à danser pour toi
Elles mènent le bal la nuit...Tu viens !?
Leurs chants lascifs te berceront bien
Mon père, mon père, ne vois-tu pas dans l'ombre
Les filles du roi des Aulnes dans les coins sombres !?
Mon fils, mon fils, oui, je le vois bien
Ce ne sont que des saules – ce n'est rien...
Je t'aime – ta belle silhouette m'inspire
Et si tu ne veux pas, j'imposerai mon désir
Mon père, mon père, il me prend pour sa proie
La roi des Aulnes me fait mal et me broye !
Le père frissonne en pressant son cheval
Il maintient dans ses bras son enfant qui a mal
Il parvient au village après de grands efforts
Et il tient dans ses bras son enfant qui est mort
Entre autres : J'ai introduit le mot « lascif » : l'idée sous-entendue étant effectivement celle-là – j'ai introduit aussi les termes « broye » et « proie » Non pas du tout pour mettre 3 points sur les i, mais pour concilier nécessité de coller à l'idée en même temps que de se soucier de rimes et de rythme. C'est en effet CELA la vrai difficulté !
Schlitter Simone
dite : Sim ou Mathilda
Note de l'auteur : je cite ci-dessous un extrait de Wikipédia qui m'amène à me poser la question : la traduction de « Erlkönig » en « Le roi des aulnes » est-elle bien pertinente !? « Roi des elfes » pourrait peut-être davantage se justifier...
La fille du Roi des Elfes
Johann Gottfried von Herder a introduit ce personnage dans la littérature allemande avec Erlkönigs Tochter, une ballade publiée en 1778 dans son recueil Stimmen der Volker en Liedern. L’œuvre était fondée sur une ballade populaire danoise publiée en 1739 dans la Danske Kaempevisor. Herder a entrepris une traduction libre, mais incorrecte, du nom danois « Ellerkonge » par « Erlkönig », « roi des aulnes ». La confusion semble avoir pour origine le mot allemand « Erle », « Aulne » en français. Outre cette erreur de traduction, on a supposé qu’Herder essayait d'identifier l’esprit malveillant du conte original avec un démon des bois (d'où le roi des aulnes)
L'histoire, telle que racontée par Herder, dépeint un homme du nom de Sir Oluf chevauchant pour son mariage mais attiré par la musique des elfes. Une elfe vierge, la fille du Ellerkonge, apparaît et l'invite à danser avec elle. Il refuse la proposition et son offre de cadeaux et d'or. Furieuse, elle le frappe et le fait tomber à terre. Le lendemain matin, le jour de son mariage, son épouse le trouve à cet endroit, mort, sous son manteau d'écarlate
Ajouter un commentaire